Pendant longtemps, les jeux vidéo qui se déroulaient dans des mondes imaginaires, pouvaient être un moyen d’affirmation de soi pour les personnes minorisées. Ou un moyen de s’évader d’un système oppressif.
L’avatar, notamment, pouvait être, aussi bien une réplique de soi-même, qu’une projection de ce que la société nous empêche d’être. Le choix d’un rôle, du contrôle d’une histoire, pouvait être un moyen de ré-appropriation de ce qui nous échappe IRL[1].
Pourtant, 83%[2] des gamers, de 18-45 ans, ont subi du harcèlement en jouant aux jeux vidéo, dont 71% allant jusqu’à des agressions graves : menaces physiques, stalking[3], chantage…Ces agissement sont en augmentation depuis 2019.
Pour 1 gamer sur 2, les raisons sont liées à leur religion, leurs identités de genre, leur orientation sexuelle ou leurs origines. Même dans un monde imaginaire, iels se retrouvent alors, autant stigmatisé·e·s que dans leur quotidien « réel ».
[1] IRL = In Real Life, Dans la vraie vie
[2] Rapport de l’ONG ADL “Hate is No Game: Harassment and Positive Social Experiences in Online Games 2021”
[3] Stalking = Fait de traquer une personne en ligne et/ou dans la vraie vie
#1 C’est quoi une safe place ?
C’est un espace bienveillant et protecteur, où des personnes minorisées et discriminées, se retrouvent pour différentes activités, très souvent empêchées ou polluées par des personnes oppressives.
Ces espaces sont aussi bien physiques que virtuels. Ils sont souvent fondés, par et pour les personnes minorisées, avec ou sans leurs allié•e•s
Dans les milieux du jeu, les safe place sont surtout créés pour jouer en ligne loin des « haters » » et des » trolls », mais aussi pour donner de la visibilité à des profils de joueur•ses qu’on ne voit pas assez.
On les retrouve notamment dans des associations militantes, des groupes de discussion ou des applications de mise en relation.
#2 C’est quoi un HATER et un TROLL ?
Hater
[ɛ.tœʁ] Nom, anglicisme
Personne qui dénigre d’autres personnes sur internet, en raison d’un critère qu’iel déteste, un désaccord, ou un biais d’intolérance
Troll
[tʀ ɔl] Nom, originaire de Suède
Personne ou message, qui vise à provoquer et/ou susciter des polémiques afin de perturber une discussion ou une personne
#4 Comment en sommes-nous arrivés là ?
Dans les faits, le harcèlement et agressions en ligne, ont toujours été présents dans les communautés de jeux en ligne. On peut pointer plusieurs phénomènes qui ont contribué à renforcer ces comportements :
- L’augmentation de la pratique du jeu multi-joueur en ligne, associé à des canaux de discussion, où les joueurses discutent pendant le jeu (chat, live streaming, salon audio…)
- L’évolution des moyens de cyberharcèlement et cyberintimidation intraçable. Les agresseurs redoublent d’ingéniosité pour contrecarrer les règles de modération
- Il est de plus en plus facile de « stalker » une personne afin de récolter des informations pour lui nuire. On appelle ça le « doxxing »
- Les agressions se déroulent en majorité dans le jeu, et laisse de moins en moins de traces à l’écrit
- L’écran donne l’impression aux agresseurs, que leurs actions n’ont pas de conséquences
- Ce sentiment d’impunité est d’autant plus renforcé par le manque de volonté de modération et/ou de moyen de modération, sur les plateformes de discussion
#5 Les mondes imaginaires restent des créations humaines, avec des biais bien humains
L’un des éléments qui « permettent » (avec de GROS guillemets) aussi les agressions, c’est la narration des jeu, associée aux représentations qu’évoquent certains personnages.
Même si les mondes sont imaginaires, ils peuvent parfois répliquer :
- Des rapports de dominants-dominés ;
- Des rapports abusifs ;
- Des situations qu’il faut résoudre par la violence ;
- De la fétichisation et/ou sexualisation des corps.
On va éviter les raccourcis type « Les jeux vidéo rendent violents ». L’idée ici est de rappeler qu’en fonction de nos biais, et de nos vécus, certaines représentations, certaines histoires, entretiennent la violence des agresseurs, et leur sentiment d’impunité.
Nous faisons plutôt face à une double problématique, liée à des sujets plus sociétaux :
- Le manque de sensibilisation contre le harcèlement et ses conséquences
- Le manque de sanction et de médiatisation des sanctions face à ces comportements
#6 Le soucis de la performance
Autre motif, qui poussent certaines personnes à polluer l’expérience de jeu, c’est leur rapport à la performance de jeu.
Pour les jeux narratifs, l’objectif est d’entretenir une histoire
Pour ces types de jeu-là, on peut davantage jouer en ligne, dans un cadre bienveillant, car on n’a peu, voire pas, d’interaction avec d’autres personnes.
Pour les jeux de gestion ou de création, l’objectif est de créer puis de gérer un monde
En fonction des joueur•ses, les premières agressions viennent parce qu’on n’est pas d’accord sur la manière de faire ; pour saboter les choix du groupe ; ou venir d’une frustration de ne pas être en mesure d’avoir un monde aussi « stylé » que les autres.
Pour les jeux d’affrontement, l’objectif est d’être le n°1
C’est là qu’on retrouve le plus de « toxicité » liée à la performance
- On reproche aux autres sa défaite, ou celle de son équipe
- Pour les plus intolérants, on estime qu’il n’y a que les hommes cisgenres, qui soient capables d’être performants
- Pour les plus frustrés, on y estime que les personnes marginalisées qui performent, prennent la place des joueurs « qui étaient là avant »
- Pour les plus incohérents, on décrète que les personnes marginalisées perturbent la performance…par leur existence
#7 Les safe place, on les crée
Malheureusement et heureusement, les safe place sont des espaces qui se créent par les personnes concernées.
Ce qui est cool
- On peut y être soi-même
- Il y a moins de toxicité
- Il y a davantage de soutien et d’entraide
- L’expérience de jeu est peu perturbée
- La modération est réelle et plus efficace
Ce qui est moins cool
- Le problème des haters et des mauvais trolls n’est toujours pas résolu
- Les plateformes ne sont pas assez responsabilisées sur les sujets de modération, ni de sensibilisation
- Pour les débutant•e•s, les espaces bienveillants ne sont pas accessibles tout de suite
- Ce sont les victimes qui ont la charge de se protéger
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