Cette semaine, nous avons sorti l’article « Comment attirer et retenir plus de talents féminins dans les secteurs Tech ? ».

Pour répondre à ce sujet, pendant plusieurs mois, nous avons recueilli les témoignages d’une vingtaine de professionnelles et étudiantes ainsi que plusieurs organisations engagées dans la diversité et l’inclusion telles que Ada Tech School, Les Codeuses, Willa, Girls Can Code, Motiv’Her.

En plus de l’article, retrouvez les interviews complètes de :

Découvrez l’interview d’Aurore Pavan, fondatrice de l’agence Les Codeuses

Les Codeuses est une agence BtoB qui a pour vocation le développement de solutions pour les TPE / PME, la formation aux métiers du front-end et à l’entreprenariat pour des femmes non-diplômées ou en reconversion professionnelle.

#1 Pouvez-vous présenter votre agence ?

L’agence Les Codeuses est présente depuis 2016, mais ce n’est que très récemment que nous avons formé une petite équipe de designers et développeuses freelances.

Nous avons à coeur de développer des solutions pour les TPE / PME, qui nous confient la maintenance de sites, leur développement ou le design.

Nous allons également nous consacrer prochainement à la formation e-learning des métiers du front-end pour permettre à des graphistes, ou des freelances d’améliorer leurs compétences et de proposer d’autres services.

#2 Pourquoi avoir décidé de vous centrer sur les femmes ?

Le monde du web étant une industrie très masculine, il était important pour nous de créer un environnement où les femmes auraient plus de facilités que dans une entreprise lambda.

Nous sommes persuadées qu’en créant un environnement de travail plus sain pour les femmes, nous améliorons aussi celui des hommes qui collaborent avec nous. Des horaires de travail adaptés à la vie familiale et le recrutement de profils atypiques sont nos motivations principales.

La formation professionnelle des femmes non-diplômées est également un vrai problème. Il est très difficile pour elles d’être acceptées dans une formation classique de développement web ou webdesign, car les institutions (Pôle Emploi ou autre) demandent systématiquement un diplôme. Elles sont donc cantonnées à des métiers peu valorisants sans prendre en compte leur motivation et leur capacité d’apprentissage.

Certaines associations ou entreprises font un travail formidable en présentiel, mais les femmes éloignées géographiquement des grandes villes n’ont pas toujours la possibilité de faire garder leurs enfants pour suivre des cours 8h par jour à plusieurs dizaines de kilomètres, surtout en province. 

C’est pourquoi Les Codeuses proposera très prochainement des formations e-learning sur les métiers du front-end, du webdesign et de l’entreprenariat, à destination des femmes non-diplômées, en reconversion professionnelle ou en recherche d’amélioration de leurs compétences. 

#3 À quelles difficultés les femmes font-elles face dans ce milieu ?

Le manque d’informations sur les métiers du numérique est encore très répandu. Les croyances disant que les femmes sont plus douées dans le social que dans des métiers d’ingénierie sont encore très prégnantes dans nos sociétés occidentales.

Ces métiers méconnus souffrent encore de l’image de geeks boutonneux des années 80 / 90. Ces hommes qui ne sortaient de chez eux qu’en cas d’urgence, préférant leur ordinateur ou leurs jeux vidéos à une vie équilibrée et saine. Cela ne fait pas « rêver » les jeunes filles qui manquent cruellement de références féminines dans le milieu de la tech.

Des profils comme Ada Lovelace, sans qui le programme informatique n’aurait pas existé, ou de Susan Kare, designer de talent qui a créé la notion d’icônes facilitant la navigation sur les premiers Macintosh, sont très peu connues du grand public. Idem pour les dirigeantes de la tech. Tout le monde connaît les CEO de Facebook, Twitter, Google etc. Mais peu de gens savent que Marissa Mayer qui a dirigé Yahoo pendant 5 ans et qui était n°2 de Google avant cela. 

Si les jeunes filles manquent de références et d’informations, elles subiront malgré elles ce que la société leur impose et n’envisageront même pas d’étudier dans l’informatique.

Il y a aussi le sexisme, très présent dans toutes les sphères de la société où les hommes dominent largement. Beaucoup d’étudiantes en informatiques dénoncent régulièrement sur les réseaux sociaux ces blagues déplacées, allant parfois jusqu’au harcèlement sexuel, tout comme des collègues travaillant en entreprise d’ailleurs. 

#4 Comment préparez- vous les femmes à entrer dans un milieu professionnel majoritairement composé d’hommes ?

Chez « Les Codeuses », nous préférons mettre en place un système où les femmes se sentent bien, tout simplement. Nous estimons être des êtres humains, nous n’avons pas à faire un choix entre sa vie de famille et son travail ou le respect de sa personne et son job. Cela rend les gens plus heureux, et donc plus productifs et efficaces à leur poste.

Les femmes ne doivent cependant pas avoir peur de s’affirmer. Il est de notoriété publique que les développeurs ont parfois un ego surdimensionné. Tous les stratagèmes sont permis pour imposer sa façon de faire, avoir du caractère et une répartie intelligente suffit souvent à régler ce problème.

Nous leur disons simplement que pour ne pas subir, il faut agir. Dénoncer systématiquement les comportements déplacés et vulgaires permet aussi aux hommes qui en sont coupables de se rendre compte de leurs méfaits. Tous ne sont pas des prédateurs, et heureusement que l’on trouve des hommes de plus en plus aptes à agir contre le sexisme en entreprise. Le chemin est long, mais c’est un travail de chaque instant et cela nécessite donc une vigilance constante.

#5 Quels conseils donneriez-vous à une entreprise souhaitant recruter plus de talents féminins ?

Il y a des choses simples à mettre en place, qui ne doivent pas concerner uniquement les femmes, mais toutes celles et ceux qui travaillent au sein d’une entreprise.

Imposer des horaires fixes, le choix du télétravail partiel ou complet, ne jamais tolérer le manque de respect envers un ou une collègue, l’égalité dans les salaires et les promotions, sans que le congé maternité n’entre en ligne de compte.

Ce sont des mesures de bon sens qui ne coûtent presque rien, mais qui peuvent changer beaucoup de choses.

#6 Quelles sont les mesures concrètes que les entreprises devraient mettre en place pour lutter contre le harcèlement et la discrimination ?

Il faut d’abord imposer une vraie politique de tolérance zéro concernant le manque de respect, et pire, les agressions au sein des entreprises. 

Sous couvert d’avoir l’air « cool », on voit de plus en plus de startups où le jeu et l’environnement sympa se transforment en vrai cauchemar pour certaines femmes. Lorsque la familiarité est omniprésente, on s’expose plus facilement aux dérapages, et ce sont trop souvent les femmes qui en font les frais. Il est donc important de construire un environnement sécurisé où tout le monde est respecté.

Des formations contre le harcèlement et les discriminations existent également et permettent aux entreprises de sensibiliser tous les acteurs. Elles permettent souvent de faire prendre conscience des comportements nocifs et discriminants à des personnes qui n’en voyaient pas nécessairement le mal et de trouver des solutions concrètes pour améliorer la vie au travail.

Enfin, les entreprises peuvent agir de manière concrète en mettant en place une vraie mixité. Pourquoi se priver d’autodidactes curieux et débrouillards, de personnes en reconversion professionnelles, même si elles sont proches de la retraite, de personnes de différentes cultures ou convictions religieuses et surtout de femmes ? 

Le web est avant tout construit pour les utilisateurs. C’est notre rôle de concevoir des interfaces pour tous. Comment pouvons-nous prétendre le faire sérieusement si nos équipes ne reflètent pas les utilisateurs que nous sommes censés servir ? 

S’imposer un quota de femmes dans une entreprise permettra inévitablement d’agir efficacement contre le harcèlement. Plus on a de profils différents au sein d’une structure, moins des clans dominants se forment, permettant inévitablement de diminuer les discriminations. 

Si les entreprises n’agissent pas véritablement pour une meilleure mixité dans la tech, ce ne sera pas seulement la qualité de vie au travail qui en fera les frais, ni même la simple représentation des femmes dans ces métiers. Avec l’avènement de l’intelligence artificielle, ce sera tout un monde connecté qui sera prochainement biaisé en imposant un regard purement masculin et dont les femmes seront de fait exclues, ou en tout cas, qui ne se reconnaîtront pas dans les futures interfaces proposées.

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