L'intelligence artificielle : Histoire, Réalités et Fantasmes

L’intelligence artificielle est sur toutes les lèvres. Qu’il s’agisse de prédictions apocalyptiques ou de promesses de révolutions technologiques : l’IA fascine autant qu’elle inquiète. Les spéculations sur ces IA super-intelligentes, autonomes et capables de remplacer l’Humain sont au cœur de tous les talk-show, de tous les argumentaires journalistiques, de tous les débats en repas de famille.

On nous demande souvent de prendre position sur le sujet d’ailleurs, et on admet que l’exercice n’est pas facile pour nous. Vous commencez à nous connaître, chez Cool IT, c’est toujours « ni oui ni non ». On en a déjà parlé sous le prisme de la cybersécurité et de la vulgarisation de jargon.

Cependant, il semblerait que vous attendiez plus de ressources de notre part pour rassurer tonton José persuadé que « L’IA va nous détruire », ou contenir Sadia du marketing convaincu que « Si on s’y met pas, on est mort ! », sans trop savoir ce que votre entreprise pourrait faire avec.

Pour répondre à José comme à Sadia, nous souhaitons vous apporter un éclairage factuel au cours d’un voyage à travers l’histoire de l’IA, depuis ses origines mythologiques jusqu’à ses développements contemporains. Nous allons vous donner des bases de réflexion pour vous aider à comprendre ce qu’est l’IA, ce que vous pouvez en faire, ce que vous faites déjà !

Sommaire

#1 – Une histoire millénaire : l’IA avant l’IA
#2 – La naissance de l’IA moderne : un croisement inattendu
#3 – L’IA, carrefour de disciplines
#4 – L’IA au quotidien depuis le Web 2.0

#1 - Une histoire millénaire : l'IA avant l'IA

Bien que le terme « Intelligence Artificielle » n’ait fait son apparition qu’en 1950, son concept existait déjà dans l’inconscient humain depuis des décennies. Légendes des hommes mécaniques d’Héron d’Alexandrie, ou les récits mythologiques comme Talos, automate de bronze construit par Héphaïstos, témoignent déjà de la fascination humaine pour la création d’entités autonomes.

Adrienne Mayor, chercheuse à l’université Stanford, explique dans son ouvrage Gods and Robots que des automates apparaissent même dans des textes classiques tels que l’Iliade. Depuis la nuit des temps, l’Humain n’a eu de cesse de poursuivre cette chimère qu’est la création d’une entité intelligente, qui serait son égale. Jusqu’au jour où, par accident, cette entité s’est révélée possible.

« Au fil de l’Iliade, on rencontre de nombreux automates, des objets qui agissent d’eux-mêmes. Par exemple, les navires des Phéaciens se pilotent de manière autonome, des trépieds se meuvent pour servir le vin aux dieux de l’Olympe, des soufflets automatiques aident Héphaïstos dans son travail métallurgique. Ce dieu s’est même fabriqué un groupe de robots-servantes taillés dans de l’or »

Adrienne Mayorn, « Gods and Robots : Myths, Machines, and Ancient Dreams of Technology » (2028), Princeton University Press

 

#2- La naissance de l'IA moderne : un croisement inattendu, de la simulation à l'apprentissage

L’émergence de l’IA telle que nous la connaissons aujourd’hui n’était pas prédestinée, mais résulte d’une série de découvertes fortuites.

On remonte le temps ! Nous voilà en 1940. Norbert Wiener, chercheur en mathématiques appliquées, travaille sur divers projets militaires en plein cœur de la Seconde Guerre mondiale. L’un de ses travaux porte sur la création d’un nouveau système de défense contre les aéronefs, système pouvant prévoir la trajectoire d’un avion pris pour cible, en modélisant le comportement du pilote. Ce travail révéla l’ignorance de l’époque sur le fonctionnement du cerveau humain et aboutit à la découverte révolutionnaire du neurone.

Simultanément, le mathématicien et cryptologue Alan Turing travaille secrètement avec son équipe sur l’opération Ultra. Projet qui visait à créer une machine permettant de décrypter les communications allemandes émises par les machines Enigma (d’ailleurs, on vous conseille fortement le film « The Imitation Game » qui retrace à merveille cette histoire incroyable). Cette machine appelée « Bombe » n’est rien d’autre que l’ancêtre de l’ordinateur.

Sans lien apparent, ces deux découvertes vont fusionner sous la houlette des neurologues Warren McCulloch et Walter Pitts. Ces derniers se lancent dans un projet de modélisation du neurone humain via des systèmes mathématiques. C’est la naissance du « neurone formel », embryon de l’IA.

Structure d’un neurone biologique vs artificiel

En 1951, Marvin Minsky créa le SNARC, un simulateur de réseau neuronal capable de reproduire le comportement d’un rat apprenant à se déplacer dans un labyrinthe. Cinq ans plus tard, le programme Perceptron fut mis au point, permettant à une machine d’apprendre à distinguer des éléments visuels. Il semble désormais possible d’éduquer la machine grâce à la programmation informatique.

Avancées technologiques de guerre, neuroscience et informatique nourrissent au fur et à mesure ce qui deviendra l’IA en tant que domaine scientifique à part entière. Ses fondements s’officialisent à Dartmouth en 1956, pas en tant qu’outil technologique, mais en tant que discipline scientifique.

Photo des pères fondateurs de l’IA, prise lors de la conférence de Dartmouth

L’IA devient alors une opportunité de rassembler chercheurs et chercheuses autour de la volonté de comprendre le fonctionnement de l’humain, par la copie de ses mécanismes, mais pas que, la discipline devient également une opportunité de faire accélérer la recherche de manière plus globale, en diversifiant ses sources de financement.

#3 - L'IA, carrefour de disciplines et opportunités d'accélération de la Recherche

Les avancées scientifiques grâce à l’intelligence artificielle (IA) au cours des 50 dernières années sont vastes et couvrent de nombreux domaines qui vont plus loin que la simple génération d’images et de textes.

Biologie, astronomie, sociologie, linguistique, mathématique… Chacune de ces disciplines a contribué à développer la recherche autour de l’IA, et l’IA, en retour, a également permis des progrès dans ces mêmes domaines, sans pour autant remplacer ses expert•e•s.

Voici quelques exemples de ces progrès, qui ont probablement eu des impacts sur nos vies, bien avant ChatGPT :

  • Biologie : accélération de la découverte de médicaments notamment grâce aux algorithmes d'apprentissage
  • Physique et astronomie : les algorithmes d'IA sont une aide précieuse au traitement de quantité de données réceptionnées par les télescopes
  • Chimie et matériaux : les simulations et la génération par IA peut aider à peuvent prédire des interactions d'atomes
  • Écologie et climat : les algorithmes d'apprentissages couplés à l'analyse d'image facilitent la surveillance des écosystèmes et l'analyse de données capturées par des drones, capteurs ou satellites
  • Mathématiques et informatique : les algorithmes permettent d'aider à résoudre des calculs complexes, notamment pour de l'optimisation de flux logistiques
  • Neurosciences : les recherches autours des systèmes de neurones contribuent à mieux comprendre les mécanismes des maladies neurologiques, comme Alzheimer ou Parkinson
  • Économie et sciences sociales : les différents modèles d'apprentissage aide à analyser de grandes quantités de données sur les comportements humains, à des fins d'étude
  • Robotique : les différents concepts d'apprentissage permettent d'augmenter les capacités des robots pour explorer des environnements difficiles, comme l'espace, les océans profonds ou les zones de catastrophes naturelles
  • Médecine : en chirurgie, les robots assistés par IA permettent de plus en plus d'interventions plus précises, et optimisent les temps d'opération, assurant de meilleures conditions de récupération pour le patient

En somme, l’IA a servi de catalyseur dans pratiquement tous les domaines scientifiques. En permettant des analyses plus rapides, des prédictions plus précises et des modèles plus sophistiqués, pour soulager l’humain des tâches ingrates, au profit de l’analyse et de la prise de décision.

L’aspect inédit de la bulle IA, dans laquelle nous sommes, c’est la mise en application publique d’IA génératives qui sont loin d’être fiables et éthiques. Mais surtout, qui se nourrissent du Web et de sa multitude d’informations pas toujours véridiques, pas toujours neutres.

En exploitant le Web comme base d’informations, nous transmettons à ces modèles d’IA nos préjugés structurels, notre héritage historique et culturel, ainsi que les biais profonds de l’humanité.

Mais pas de panique ! Nous sommes déjà passés par là, et comme d’autres modèles d’IA avant Dall-E et Claude, il a fallu passer par cette période de doute et d’hystérie avant de les cadrer correctement.

#4 - L'IA au quotidien depuis le Web 2.0

Quelques branches de l’IA Description
🧠 Apprentissage automatique Apprendre à partir de base de données, de manière plus ou moins encadrée : suggestion de publicité, de musique, de trajet en voiture
🗣️ Traitement du langage naturel Permettre aux ordinateurs de comprendre et générer le langage humain. Pas exemple, quand vous demandez à Chat GPT de résumer cet article de presse pour vous
👁️ Vision par odinateur Donner aux machines la capacité de « voir » et de comprendre le contenu visuel, pour piloter un véhicule ou analyser une image médicale
🤖 Robotique Créer des machines physiques autonomes, pour des tâches précises. Ce robot qui tond la pélouse, pour que vous puissiez faire vos mots croisés tranquilou sur le canapé
🎨 IA créative Doter les machines de capacité de création, à partir d’une base d’images ou de vidéos : Dall-E, Midjourney, …
😊 IA émotionnelle Comprendre et simuler les émotions humaines. On les retrouve notamment intégrées aux robots qui nous servent des boissons au restaurant, dans certains jeux vidéos, ou appli de simulation de relation.

Dérapages de l'IA Tay de Microsoft sur Twitter X

Chaque version de ces outils se heurte à de nombreux défis, à chaque lancement : les régulations étatiques, les cadres légaux, les attentes des utilisateurs, les impératifs des entreprises, les contraintes technologiques et les ressources disponibles.

De nombreux projets ont émergé, pour ensuite être abandonnés, comme l’IA de recrutement d’Amazon, l’IA Tay de Microsoft, ou encore Watson, l’IA d’IBM dédiée au traitement des cancers. Même des assistants virtuels populaires comme Siri et Alexa ont traversé des phases de « bad buzz » avant d’être optimisés. Cela montre que l’IA, bien qu’elle progresse rapidement, est encore dans une phase d’évolution où les itérations successives permettent d’affiner ces technologies pour répondre aux exigences complexes du monde réel.

Les MidJourney, Dall-E, Claude et ChatGPT d’aujourd’hui ne sont pas des versions définitives.  Les problématiques techniques, sociales et sociétales, que ces outils abordent, feront l’objet de régulations progressives. Elles nous donneront un cadre d’usage de plus en plus sécurisant et adapté aux mondes d’aujourd’hui.

EN RÉSUMÉ

Il serait réducteur de penser l’intelligence artificielle avec dualité. Elle n’est ni bonne ni mauvaise en soi. Elle est un miroir de nos propres comportements, valeurs, et préjugés. Elle reflète les complexités et les travers de notre propre nature.

Au-delà de tous les espoirs et inquiétude qu’on peut lui attribuer, l’IA n’est pas une révolution ni une menace, c’est surtout un super moyen de comprendre le fonctionnement humain, tout en faisant avancer d’autres disciplines de la Recherche.

Son impact dépendra de l’usage que nous en ferons : pour améliorer nos vies, ou pour créer de nouveaux dangers. Nous avons tous une certaine responsabilité en tant qu’utilisateur, de nous questionner et de nous informer sur les outils utilisant l’IA. Comment pouvons-nous, à notre échelle, améliorer l’entraînement des IA pour les rendre plus éthiques ? Quel comportement devons-nous adopter lors de l’utilisation de ces outils ? Comment pouvons-nous garantir les règles d’éthiques, tant dans notre consommation de la data que dans sa création, tout en sachant qu’elle finira par être ingérée par les IA ?

POUR ALLER PLUS LOIN

Vous vous posez des questions sur l’usage de l’IA en entreprise ? Vous avez des questions en matière de d’IA et de sécurité au sein de votre organisation ? Contactez-nous ! Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions

Pour aller plus loin

  • Recherches du professeur Frédéric Fürst, Université d’Amiens : https://home.mis.u-picardie.fr/~furst/docs/3-Naissance_IA.pdf
  • That’s IA.com : https://www.thats-ai.org/fr-CH
  • Data Science Institute : https://datascience.uchicago.edu/news/nsf-awards-20-million-to-build-ai-models-that-predict-scientific-discoveries-and-technological-advancements/
  • Science Exchange : https://scienceexchange.caltech.edu/topics/artificial-intelligence-research?utm_term%C2%A0
  • France Culture : https://www.radiofrance.fr/franceculture/aux-origines-de-l-intelligence-artificielle-1738879

  • « Gods and Robots », Adrienne Mayor, (2018)
  • « Préjugés contre les femmes et les filles dans les grands modèles de langage », étude de l’UNESCO
  • « Artificial Intelligence – The Revolution Hasn’t Happened Yet » par Michael Jordan (2018)
  • « Algorithmic Bias Detection and Mitigation: Best Practices and Policies to Reduce Consumer Harms » par Ben Green et Lily Hu (2018)
  • « Artificial Intelligence: A Guide for Thinking Humans » par Melanie Mitchell (2019)